Nous mentirait-on?

Nous mentirait-on?

on vend des jeux aux enfants pour leur apprendre à vivre dans un état policier

9 mai 2012         

Alors que je retournais chez moi après un voyage d’affaires à Washington la semaine dernière, une employée chargée de la sécurité à l’aéroport m’a demandé mon ordinateur portable pour le contrôler. Je lui ai demandé poliment pourquoi. Vérification de routine, m’a-t-elle répondu.

 

Et elle a raison, c’est devenu la routine, un protocole banal un peu trop routinier conçu pour nous faire croire qu’il est normal de nous déposséder de notre vie privée et de nos droits de citoyens si nous voulons être en sécurité et libres. L’ironie c’est qu’il est clair que nous ne sommes ni en sécurité ni libres si des agents de l’Etat ont le droit de violer notre vie privée et de porter atteinte à nos droits fondamentaux sans motif. J’ai d’abord songé à protester, mais je me suis dit que le résultat serait, dans le meilleur des cas, de me faire rater mon avion, et, dans le pire, de me retrouver en détention dans des locaux secrets sans pouvoir communiquer avec l’extérieur.

 

Les chances qu’on me donne une explication plausible pour cet intérêt soudain pour mon portable étaient sans aucun doute nulles. En d’autres termes : que faire ? et, ça les agents de sécurité le savent bien.

 

Mon plus jeune fils n’a pratiquement pas souvenir de l’époque où on pouvait prendre l’avion sans avoir d’abord à ôter ses chaussures. Il était en CM1 le 11 septembre 2001 et en l’espace de quelques jours, son école était couverte de drapeaux américains, et les panneaux : « Je soutiens George Bush » fleurissaient partout. Pour lui c’est normal, c’est dans l’ordre des choses. Et ça n’est pas un hasard.

 

Ce qui est particulièrement troublant dans cette notion qu’il est antipatriotique de mettre en doute des mesures censées nous prémunir d’actes terroristes, c’est l’utilisation de jeux pour faire passer le message. En plus du reality show « Homeland Security » (« Sécurité intérieure » ) sur ABC, la chaîne de Disney, il y a maintenant une chaîne consacrée à la sécurité intérieure sur Internet – qui s’annonce comme : « Le premier réseau mondial en ligne de télévision interactive consacré à la sécurité intérieure et au développement mondial ».

 

HSTV est une chaîne interactive qui retransmet 24h sur 24, 7 jours sur 7, et qui produit exclusivement des vidéos de professionnels ou semi-professionnels dans tous les domaines touchant à la sécurité intérieure et au rôle du développement mondial pour la lutte contre le terrorisme.

 

HSTV est également conçue pour faciliter un apprentissage rapide des nouvelles technologies et des services, et pour aider à transmettre ces solutions technologiques à l’Etat et au marché des infrastructures vitales. Et l’armée US n’a pas regardé à la dépense pour offrir aux enfants toutes les occasions de jouer à des jeux vidéo de guerre virtuelle aseptisée et qui renvoient opportunément à des sites de recrutement de l’armée.

 

Outre les jeux vidéo tels que « America’s Army« , l’armée a récemment ouvert le « centre de formation militaire », pour lequel elle a investi plus de 12 millions de dollars, au centre commercial de Franklin Mills en périphérie de Philadelphie où les enfants peuvent jouer à des jeux vidéo ».

 

Le centre de Philadelphie essaie de recruter en proposant aux éventuels futurs soldats une salle séparée pour qu’ils « tirent » depuis un véritable Humvee sur les camps ennemis projetés sur un champ de bataille virtuel de 4,5 m de hauteur avec des effets sonores assourdissants.

 

Dans une autre salle, ceux qui préfèrent tirer depuis les airs peuvent participer aux raids en hélicoptère où les soldats ennemis surgissent de cachettes à détruire avec une mitrailleuse pétaradante montée sur un simulateur calqué sur le modèle d’un hélicoptère Apache ou Blackhawk.

 

Plus insidieux encore, ce sont les jouets qui s’adressent aux enfants de maternelle et d’école élémentaire et qui exploitent la rengaine sur la guerre contre le terrorisme.

 

Playmobil vend plusieurs jouets qui correspondent à cet objectif, parmi lesquels Playmobil Security Checkpoint (pour les 4-7 ans) et Playmobil Police Checkpoint (pour 10 ans et plus).

 

La seule lueur d’espoir, ce sont les avis des consommateurs sur Amazone où on trouve ces produits. Voici un des commentaires sur Security Checkpoint :

 

« Finalement, c’est un jouet qui permet à nos enfants de s’habituer à vivre dans un état policier. Benjamin Franklin a dit : »Celui qui est prêt à sacrifier ses libertés fondamentales pour obtenir un peu de sécurité temporaire ne mérite ni l’une, ni l’autre. »

 

Mais, il a vécu en France pendant un moment, alors quelle autorité pourrait-il avoir sur quoi que ce soit ?

 

Avant que ce jouet n’arrive sur le marché, je craignais que mon fils ne puisse pas s’adapter à cette nouvelle réalité de la vie aux Etats-Unis ; et je me posais des questions sur la façon de le préparer à l’avenir. Hé bien, quel soulagement : Il en appris des choses ! Maintenant il sait que :

 

1) Certaines personnes peuvent bien gagner leur vie en traitant les autres comme du bétail, et le mieux, c’est que c’est le bétail qui paie leurs salaires.

 

2) On n’a que les droits que le gouvernement vous accorde, vous ne pouvez circuler à votre guise dans tout le pays que si vous vous pliez aux règles dictées par le gouvernement, aussi dérisoires puissent-elles être. Pas de liquides, vous dites ? Sauf s’il est placé dans un sac plastique transparent à glissière ? OK pour moi.

 

Un briquet, ça va parce que le lobby du tabac s’est élevé contre le règlement interdisant les briquets ? Parfait.

 

Tous les passagers sont fouillés mais pas les bagages de soute ? Pas de problème.

 

Il faut toujours faire front bas devant les gens en uniforme, même s’ils ont peut-être pris ce travail parce qu’ils n’ont pas pu entrer dans la police (à cause de leur casier judiciaire ou de problèmes de toxicomanie).

 

Malheureusement, ce jouet ne répond pas aux attentes dans certains domaines :

 

1) Il ne démontre pas que quand vous êtes riche, vous n’avez pas besoin de faire la queue pendant des heures. Si vous avez les moyens de voyager en 1° classe vous avez un comptoir d’enregistrement rapide. Et tant pis si les terroristes ont les poches pleines de cash saoudien ou pakistanais et peuvent aisément voyager en première classe, s’ils le souhaitent. Ils auraient dû installer un autre point de contrôle.

 

2) Ce jouet n’est pas livré avec les 300 Playmobil aux traits tirés pour figurer les passagers qui font la queue devant le comptoir de pré-embarquement.

 

Néanmoins il y a certaines choses pour lesquelles il est très performant : le matériel de contrôle n’est pas véritablement fonctionnel. Et cela correspond bien au véritable système de sécurité, qui, chaque fois qu’il a été testé ou vérifié n’a rien décelé du tout (par exemple : les armes, voire les bombes). »

 

 

Alors, merci Playmobil. J’espère qu’ils vont étendre leur gamme de produits et nous offrir davantage de jeux qui aideront nos enfants à se préparer à la nouvelle réalité d’une Amérique où on est beaucoup plus en sécurité ; Et j’attends avec impatience, plus particulièrement, la boîte de jeu du goulag américain Guantanamo, façon époque stalinienne, l’ensemble « torture de la baignoire de la CIA » à la manière de la Corée du Nord, le kit pour placer des écoutes téléphoniques style KGB. Certains vont pleurnicher sur la perte de leur libertés, mais mon fils sait bien que les Nord-Coréens sont parmi ceux qui sont le plus en sécurité dans le monde. Ils ne craignent pour ainsi dire pas les terroristes.

 

Et franchement, après être tombée de la chaise à de force de rire à toute une série de commentaires de la même veine, il m’est venu à l’esprit que même si ces commentaires étaient parus sur Amazone, ces produits n’étaient sans doute que pure fiction. Mais en m’informant auprès de Playmobil et d’Amazone, j’ai eu confirmation que ces deux articles, hélas, existaient bel et bien.

 

Aussi pénible qu’il ait été d’élever des garçons à l’époque des tortues Ninja et des Power Rangers, il est évident qu’apprendre à ses enfants la différence entre le bien et le mal est devenu bien plus difficile depuis que les jouets et les jeux qu’on leur vend sont de la propagande éhontée pour l’état policier.

 

Lucinda Marshall pour Le Grand Soir



10/05/2012

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