Nous mentirait-on?

Nous mentirait-on?

Crise financière : entre deux mondes

 

- Tout est calme pour un bon moment sur le plan financier. - Il s’y prépare un gros grain. Ce sont les deux versions de base qui s’opposent depuis quelques semaines, un monde céleste, officiel, de discours lénifiants et un monde bien terre à terre en plein bouleversement.

Deux mondes donc… 

Le monde céleste

Officiellement, tout va bien, la crise financière est sous contrôle. Les perfusions de la BCE font merveille. La première (21 décembre 2011) a amené la détente des taux d’intérêt et les États ont pu renouveler leurs obligations « normalement » depuis janvier. Ce 29 février, le bar était à nouveau ouvert à la BCE. Le bilan général sur les deux opérations porte sur 1000 milliards d’euros, dont la moitié de renouvellement sur des bases plus favorables (1% sur trois ans) de crédits antérieurs, l’autre moitié de création monétaire pure. Les spécialistes parlent de quasi création monétaire, une frilosité que j’avais déjà dénoncée en janvier dernier. Si vous êtes intéressés à comprendre un peu comment se passe une telle création, voyez l’article d’Olivier Berruyer publié ce jour. Merci Olivier.

 

Le monde terrestre

Voici deux remarques très intéressantes de François Leclerc à propos de l’utilisation de cet argent frais, injecté en principe pour que les banques puissent à nouveau financer l’économie et nous éviter la dépression. Mais en fait ?

« Les chiffres publiés par ses soins [de la BCE] montrent en effet que les banques italiennes et espagnoles ont soutenu le cours des obligations de leurs pays réciproques en les achetant à l’émission, contribuant à une baisse des cours qui se confirme. En janvier dernier, les banques espagnoles et italiennes ont acheté de la dette de leurs pays pour plus de 23 milliards et 21 milliards d’euros respectivement, permettant à la BCE d’interrompre ses propres rachats sur le marché secondaire. » (F.Leclerc)

Par un subterfuge complètement contraire aux règles de l’Union, la BCE achète – indirectement il est vrai – des obligations à l’émission, imitant ainsi le mécanisme mis en place par le Federal Reserve à la suite de la crise de 2008. Mais il y a plus fort :

    « Autre cas à charge, un consortium de banques espagnoles et de l’Institut du crédit devrait utiliser les liquidités de la BCE pour régler des impayés des administrations publiques à des entreprises espagnoles en difficulté, estimés de 30 à 50 milliards d’euros, leur donnant trois ans de répit pour rembourser, à moins que des montages financiers à la grecque ne soient utilisés pour faire disparaitre la dette. » (F.Leclerc)

  Comment payer tout le monde sans augmenter les impôts ni la dette ? Avec l’argent de la BCE pardi ! Madrid va ainsi créer un consortium bancaire qui va emprunter ces 30 à 50 milliards à la BCE pour régler d’un coup les factures en souffrance. La BCE va payer les factures d’entreprises espagnoles, c’est du grand n’importe quoi.

 

 

Le monde céleste

Les accords du 21 février ont apporté une solution au problème grec. Au moins jusqu’à la conclusion du troisième plan de sauvetage qui sera nécessaire au plus tard l’an prochain, car la spirale est enclenchée : les contraintes posées à l’État grec amènent une récession de plus en plus profonde, laquelle empêche l’État de respecter les clauses du plan en cours et le forcent à demander un nouveau…

 

Le monde terrestre

Le problème grec est tout à fait en suspens. L’État a proposé à l’échange ses anciennes obligations (à 46,5% de leur valeur nominale) contre des nouvelles et la faisabilité du plan repose sur lez fait que 25% des anciennes obligations soient réellement échangées. Or de nombreuses d’entre elles sont passées soit aux mains des États, soit aux mains de hedge funds qui les ont achetées au cours du marché et espèrent le déclenchement des CDS pour en récupérer la valeur nominale… Précisément dans ce domaine, la question est de savoir s’il y a incident de crédit sur la dette de l’État grec, question renouvelée par le caractère volontaire obligatoire [1]  de l’échange des obligations. Mardi, le comité de détermination de l'Association internationale des swaps et dérivés (Isda) a été saisi. Interpellé sur l'impact de l'échange et des clauses d'actions collectives et sur la nouvelle subordination des créanciers privés par rapport aux banques centrales, il délibérera jeudi 2 mars en fin de matinée sur la question posée. S'il reconnaît un changement dans l'ordre des priorités de paiement ou s'il estime que l'échange n'est pas volontaire, les CDS seraient ensuite débouclés. Et l’on sait que c’est la boîte de Pandore… une boîte dont certains sont tentés de soulever le couvercle, vu les montants relativement restreints (50 milliards €) en cause dans l’affaire grecque.[2]

 

 

Le monde céleste

Le problème est à ce jour bien limité à l’État grec ; la contagion est évitée et la détente des taux est certaine. Si elle n’apporte pas de solution à long terme, la BCE par sa « quasi-émission » monétaire, laisse au moins le temps de souffler et accorde un répit qui va permettre le redémarrage de l’économie.

 

Le monde terrestre

L’État portugais est dans la tourmente. En outre, dès le lendemain de l’accord sur la dette de l’État grec, Mariano Rajoy a considéré que le moment était favorable pour renégocier avec Bruxelles les objectifs de réduction du déficit de l’État espagnol. Descendre de 8% l’année dernière à 4,4% cette année se révèle totalement irréaliste, car cela demanderait un ajustement de 30 milliards d’euros dans le budget, deux fois ce que le plan d’austérité prévoit. Si on y ajoute les pratiques de « prestidigitation » relevées plus haut, on voit que la situation de l’État espagnol est critique.

 

 

Le monde céleste

Les accords de novembre dernier montrent que l’Europe – séparée du poids mort britannique – est de plus en plus forte et se constitue peu à peu en une entité politique supranationale qui sera capable de faire face à la tourmente. Voyez par exemple le dernier rapport du GEAB. Variante : la thèse avancée par l’économiste Kenneth Rogoff, dans le Spiegel  : une fois qu’Athènes aura été expulsée de l’Union, les États-Unis d’Europe pourront mener plus rapidement à bien ce qu’ils ont prévu, grâce à la crise, par l’utilisation de cette crise comme moyen d’avancer rapidement et d’imposer un Empire européen, y compris contre les populations ou via la mise en tutelle de certains États.

 

Le monde terrestre

Une nouvelle Union pourra-t-elle vraiment émerger sur les cendres de la Grèce ? L’Allemagne a mis son opposition à une réunion de l’Eurogroupe après le sommet européen de ces 1er et 2 mars. L’Irlande va recourir au référendum pour ratifier les derniers accords européens… François Hollande a annoncé qu’en cas de victoire aux élections, la France en demanderait la révision. Les tensions sont permanentes, l’horizon bouché.

En outre l’Europe a besoin de tout autre chose que ce délitement démocratique qu’elle montre en permanence. Nombreux sont ceux qui comparent son destin actuel au destin de l’Empire soviétique dans les années 80 : avec toujours un plan en retard et devant faire face à terme à ce qu’on peut appeler « une "étrange défaite", née dans les arrière-gardes de la société civile avant de se déclarer dans la ligne de défense mise en place le long des murs anti-contagion. » (Barbara Spinelli)

 

 

 

Le monde céleste

Le MES (Mécanisme européen de stabilité) est sur les rails, les accords viennent d’être adoptés par le Bundestag, jusqu’ici très réticent à sa mise en place. L’Union européenne dispose donc d’un pare-feu de 500 milliards d’euros, prêt à être mis en œuvre à la moindre menace.

 

Le monde terrestre

L’efficacité d’un tel pare-feu est plus que douteuse. En cas de crise, c’est d’un montant de 1.500 milliards dont il faudrait disposer.[3] En outre, l’Europe devrait être assurée du soutien du F.M.I. Or ce soutien dépend de l’accord du Japon et des pays émergents (BRICS) qui se montrent de plus en plus réticents. Parmi eux, la Chine, en outre, donne des signes inquiétants de fragilité sur le plan financier. Là aussi une immense bulle immobilière menace d’éclater à tout moment, et le contexte général de récession économique mondiale a amené quelques commentateurs à poser ouvertement la question de savoir si ce n’était pas là précisément que se trouvait la principale menace immédiate pour le système financier international. Non seulement le pare-feu européen s’avère insuffisant, mais l’Europe est sans soutien international.

 

 

Le monde céleste

L’économie américaine a montré les premiers signes de reprise. Après une année de récession en 2012, qui selon l’OCDE sera bien moindre que la récession de 2009, dès 2013, l’ensemble de l’économie mondiale devrait repartir et soulager par la même les derniers soubresauts de la crise financière.

 

Le monde terrestre

L’économie mondiale est malade de l’addiction à une drogue qu’elle ne peut plus se procurer comme avant : la Dette. Elle doit réduire son endettement après avoir prospéré à crédit. Quel moteur de substitution est-il possible de lui trouver ? Personne ne peut apporter de solution à cette question. Lisez à ce sujet l’intéressant article de Michel Santi sur cette « illusion de richesse » générée par le sacro-saint indicateur du P.I.B. auquel tout fait référence… Tous les chiffres sont faussés, ceux du P.I.B. comme ceux de la « croissance négative ». La crise actuelle n’est-elle pas avant tout le témoignage de leur incapacité à nous restituer un état vraisemblable de la situation économique mondiale ?

Toute l’évolution depuis le début de la crise ne montre-t-elle pas qu’on est en train, comme le souligne François Leclerc, de surcharger l’endettement des États pour soulager le système bancaire et tenir la tête hors de l’eau. Loin de porter progressivement remède à la crise de la Dette, on l’aggrave donc en permanence…

 

 

Le monde céleste

Si l’impasse se confirme, on appellera au secours l’inflation. Les financiers y perdront leur capital investi (c’est la célèbre euthanasie des rentiers), mais au moins cela sauvera le système. Je puis vous recommander à ce sujet un article qui décrit bien le mécanisme de ce qui apparaît comme l’inévitable issue de secours pour beaucoup.

 

Le monde terrestre

L’issue de secours existe-t-elle vraiment ? Les causes profondes de l’inflation font l’objet de discussions sans fin, et dans son article Simone Wapler développe très bien à propos de l’inflation la grande question soulevée par le Japon depuis 20 ans : « C’est ce qu’a essayé de faire le Japon depuis l’éclatement de sa bulle immobilière dans les années 1980 … sans succès. Le Japon n’a pas connu d’inflation et la déflation se poursuit. C’est ce qu’ont essayé de faire les États-Unis depuis 2008 en faisant surgir des milliers de milliards de dollars du néant. » Alors viendra, viendra pas ? C'est donc jusqu’à la solution-miracle qui semble se dérober sous nos pas.

 

Nous trouvons-nous aujourd'hui vraiment aux ultimes limites d'un système, OUI ou NON. Mon point de vue de ce jour était assez basiquement de vous développer Le Pour et le Contre.

 

MALTAGLIATI

 

[1] En effet, le gouvernement grec a engagé le processus législatif d’adoption d’une clause d’action collective rendant obligatoire jusqu’au seuil des 2/3 du volume l’échange des titres.

[2] Les principaux vendeurs de CDS souverains sont les grandes banques d’investissement : Morgan Stanley, Goldman Sachs, Bank of America, Merril Lynch, chez les Américaines ; Barclays, Deutsche Bank, UBS, Credit Suisse, Société Générale, BNP Paribas, Crédit Agricole et Natixis, chez les européennes ; les principaux acheteurs sont les grandes banques, les fonds spéculatifs, les assureurs et les fonds de pension.

 

[3] Il faudrait un minimum de 1500 milliards du FESF et du MES qui lui succédera si on veut pouvoir faire face aux tensions possibles dans les années à venir sur la dette espagnole (700 milliards) ou sur la dette de l’Italie (2000 milliards) et à la condition que la France puisse continuer à se financer à des taux peu élevés.

 



29/04/2012

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